La crise COVID-19 et les dispositifs légaux et réglementaires en découlant ont neutralisé le cours de certains délais et mécanismes juridiques notamment en matière contractuelle.
Chaque cocontractant, à des degrés divers, est victime de cette crise et de ses implications et doit les subir et/ou tenter de s’y adapter. Pour d’autres, elle peut créer une effet d’aubaine.
La pandémie ayant été qualifiée de « crise sanitaire » par le Législateur et considérée par les pouvoirs publics comme un « cas de force majeure », se pose la question de savoir si le débiteur d’une obligation (quelle qu’elle soit) a la possibilité d’invoquer la force majeure pour s’exonérer, totalement ou partiellement, provisoirement ou définitivement, de l’exécution de son obligation juridique.
Sous réserve des dispositions légales ou réglementaires qui viendraient dans un futur proche à préciser la position du Législateur et des Pouvoirs publics – et, dans un futur plus lointain, de la jurisprudence qui pourrait émerger sur le sujet – il convient à ce stade d’aborder avec prudence l’utilisation de la force majeure comme instrument exonératoire, tout comme plus généralement les outils du Code civil, tant il ne peut être nié qu’il existe d’autres moyens d’exécuter une obligation contractuelle ou d’aménager son inexécution au lieu de céder à la tendance, plutôt facile (c’est l’effet d’aubaine), de vouloir à tout prix s’exonérer de son obligation.
Cette tendance est d’autant plus contestable face aux mesures que le Gouvernement et le Législateur ont mises en place dans le but de permettre à certains contractants d’affronter la situation.
Il convient dès lors de faire preuve de la plus grande prudence, compte tenu des conséquences qu’une inexécution pourrait occasionner à terme :
- non seulement parce que le mécanisme juridique utilisé pourrait être remis en cause ( par exemple par une juridiction dans le cadre d’une contestation par le créancier de l’obligation, ou par une nouvelle loi ou ordonnance…),
- mais aussi parce que, sauf cas de résolution du contrat libérant les parties, la suspension temporaire de l’obligation signifie que le débiteur ne fait que reporter le moment auquel il doit remplir son obligation.
En effet, la question peut se poser de savoir si le débiteur sera plus à même de remplir son obligation plus tard, a fortiori au moment où ne seront plus en vigueur les dispositions légales et réglementaires qui privent d’effet les sanctions en cas d’inexécution contractuelle ( le temps de la période de l’état d’urgence sanitaire + 1 ou 2 mois selon les cas, temps qualifié de « période juridiquement protégée »).
Parmi les mécanismes prévus par le Code civil pour réagir face à une inexécution contractuelle, pour gérer cette inexécution et ses conséquences, pour affronter l’évolution économique d’un contrat (tels l’imprévision, l’exception d’inexécution, l’exécution pour risque d’inexécution, l’économie du contrat et l’équilibre des obligations, la bonne foi et la loyauté), la force majeure prend une dimension particulière du fait de l’évidence avec laquelle elle semble s’imposer au conscient collectif, beaucoup souhaitant s’en emparer pour tenter de faire plus facilement (ou moins douloureusement) face à la situation particulièrement inédite à laquelle nous sommes confrontés.
Se pose donc la question de savoir si la force majeure représente un moyen efficace pour le débiteur d’une obligation qu’il n’est pas en mesure ou pense ne pas être en mesure) de respecter.
D’après la définition de l’article 1218 du Code Civil, trois conditions cumulatives caractérisent l’événement pour pouvoir être valablement invoqué par la partie au contrat.
L’évènement doit ainsi :
- échapper au contrôle du débiteur,
- ne pas avoir pu être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat (imprévisibilité),
- ne pouvoir être évité par des mesures appropriées (irrésistibilité).
Ces 3 conditions doivent être scrupuleusement étudiées dans chaque contrat en cause afin de déterminer si elles sont remplies et réunies.
Il est bien évident qu’il faut préalablement vérifier que le contrat a été conclu avant la mise en place du confinement, de la déclaration de l’état d’urgence, sanitaire et/ou la reconnaissance par l’Etat français du cas de force majeure.
Il convient également préalablement de vérifier si les dispositions contractuelles n’excluent pas ou ne restreignent pas la force majeure, sa définition et ses cas d’application, ou n’en organisent pas les modalités.
Sous réserve de ces conditions préalables, et s’il apparaît évident que la crise COVID-19 échappe au contrôle du débiteur (condition n° 1) et qu’elle ne pouvait être raisonnablement prévue lors de la conclusion du contrat (condition n°2) – hors le cas d’un contrat signé dans un laps de temps assez court avant la crise – c’est la condition n° 3 qui va s’avérer déterminante, à savoir : que les effets de l’évènement ne peuvent pas être évités par des mesures appropriées.
Cette condition implique donc l’obligation pour le débiteur de tenter de trouver le ou les moyens de remplir son obligation avant de pouvoir invoquer la force majeure pour suspendre l’exécution de son obligation.
C’est à ce stade que la partie se trouve confrontée :
- aux mesures mises en place par le Gouvernement et le Législateur,
- aux aménagements que son créancier pourrait lui consentir, ce qui implique de façon incontournable la nécessité pour le débiteur de se rapprocher de son créancier pour négocier avec lui de tels aménagements ( délais, franchises, réductions…).
Cette condition doit donc amener la partie débitrice à la plus grande prudence et à préconiser un examen minutieux au cas par cas de chaque situation contractuelle afin de déterminer si la force majeure peut valablement être invoquée, a fortiori s’agissant de l’obligation de paiement d’une somme d’argent, dont la particularité rend la démonstration d’autant plus délicate.
Il n’est en outre pas inutile de rappeler que la situation ne doit pas s’éterniser car, si le retard qui en résulte devait trop impacter l’autre partie, cette dernière pourrait se prévaloir de la résolution ou de la résiliation du contrat, aboutissant ainsi à des conséquences fâcheuses, voire irrémédiables pour le débiteur de l’obligation (l’alinéa 2 de l’article 1218 du Code civil prévoit en effet que, si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat).